Réunis par l’Impact Tank, Marilisa Fantacci, Directrice Générale de l’association ACTION EMPLOI RÉFUGIÉS et Matthieu Tardis, Chercheur à l’INSTITUT FRANÇAIS DES RELATIONS INTERNATIONALES, se sont prêtés au jeu de l’entretien croisé en répondant aux questions de Jeanne-Marie RIOU, chargée d’études au sein de l’Impact Tank.
De la question de l’inclusion économique au rôle des pouvoirs publics dans le processus d’intégration, cet entretien est l’occasion de croiser regard académique et expertise de terrain, d’échanger sur les enjeux d’inclusion numérique et d’aborder les potentielles solutions face à l’exclusion dans un contexte où la crise sanitaire a accentué les écarts déjà en présence.

1 . Quand on parle de politiques d’accueil et d’intégration des
personnes réfugiées, qu’est-ce que cela recouvre exactement ?
Matthieu Tardis– Il y a plusieurs façons d’aborder ces termes.
Du point de vue des politiques publiques, l’accueil se réfère davantage à la question des demandeurs d’asile : conditions d’hébergement, accès aux droits… On parle de conditions matérielles d’accueil, expression issue de directives européennes. En France, nous avons ce que l’on appelle un Dispositif National d’Accueil des demandeurs d’asile, qui répond aux besoins d’hébergement et d’accompagnement social et juridique des demandeurs d’asile. La politique d’intégration est une politique publique dédiée tant aux personnes réfugiées qu’aux autres catégories de primo-arrivants en situation régulière depuis moins de 5 ans. C’est une politique d’accompagnement et d’accès vers l’autonomie.
Marilisa Fantacci – Il s’agit d’abord, selon moi, de définir ce qu’est une politique publique. Il s’agit de l’ensemble des interventions de l’Etat, de la puissance publique, sur un domaine et un territoire, qui permettent la mise en place de dispositifs d’action publique. En tant qu’acteur associatif, nous avons un rôle d’opérateur de ces dispositifs, par délégation de l’Etat. Ces politiques publiques donnent le périmètre d’action, allouent des lieux d’hébergement pour les demandeurs d’asile, encadrent les délais relatifs à ces hébergements ou ceux liés à l’obtention du statut de réfugié, les conditions d’accueil et d’intégration…

2 . Quels sont les termes qu’il s’agit de favoriser, entre accueil,
intégration, inclusion… ?
Matthieu Tardis – Nous pouvons questionner ces termes, et notamment celui d’intégration.
L’intégration est un concept qui est finalement assez récent en France, alors même que la France est certainement le plus ancien pays d’immigration du continent européen. Pourtant, ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’on commence à parler d’intégration. Il faut comprendre que ce terme n’est pas neutre. Il est aussi apparu avec la montée de l’extrême-droite, à la même période en France, dans le cadre d’une sorte d’injonction d’intégration à destination des étrangers.
Marilisa Fantacci – Effectivement, ces termes ne sont pas neutres. C’est une question sémantique mais aussi sociologique et politique. Chaque gouvernement et chaque acteur de ces politiques publiques d’accueil et d’intégration a une conception propre de ces termes. A mon sens, lorsqu’on parle d’intégration en France, on permet à une personne de rejoindre une nouvelle société, le cœur de la République, sans oublier de laisser une place à l’expression de sa diversité et sa particularité. Tous ces termes, intégration, insertion, inclusion, doivent toujours refléter la réciprocité de l’accueil.
Matthieu Tardis – Pour moi, le terme de politique d’intégration a peut-être un effet inverse d’exclusion, l’effet de mettre les personnes réfugiées à l’écart d’autres publics français ou non français, en situation de vulnérabilité ou qui ont un besoin d’accompagnement social. Le terme stigmatise les populations réfugiées.
A titre d’exemple, on évoque souvent les difficultés relatives à l’hébergement des publics exilés en France en termes de politiques d’immigration ou d’asile. Pourtant, le véritable problème, c’est que l’ensemble de la société française fait
face à une crise du logement, particulièrement dans les grandes villes mais pas uniquement, et qui touche de manière encore plus forte les populations les plus vulnérables ou les plus éloignées de l’insertion socio-économique, et donc souvent les populations exilées. Mais l’enjeu reste la question de la politique du logement. De la même façon, on peut considérer que les réfugiés ne relèvent pas du service public de l’emploi français étant donné qu’il existe une délégation de ce service vers des associations spécialisées comme Action Emploi Réfugiés. S’il est nécessaire de faire en sorte que les personnes réfugiées soient accompagnées par des professionnels spécialisés en raison de leur situation particulière, cela revient une nouvelle fois à les mettre de côté. Aussi, les acteurs associatifs, à qui on délègue, ne bénéficient pas des mêmes leviers d’action que les services publics étatiques quand il s’agit de lever un certain nombre d’obstacles, notamment administratifs.
3 . Quels sont les obstacles en matière d’accueil et d’intégration
aujourd’hui ?
Matthieu Tardis – Le dispositif français d’accueil et d’intégration est à la fois extrêmement complexe
et inégalitaire, dans le sens où beaucoup de demandeurs d’asile, de réfugiés, n’y accèdent pas par manque de places. Je pense par ailleurs que le parcours de la personne et les raisons de son départ ne sont pas suffisamment considérés dans le processus d’accueil. Il faut comprendre que les parcours migratoires sont de plus en plus compliqués, les primo-arrivants sont vulnérables et nous leur demandons de s’intégrer de plus en plus rapidement, alors même que l’on n’alloue pas les moyens nécessaires à cela. D’autre part, bien que les personnes réfugiées bénéficient de l’ensemble des droits sociaux français (à l’exception des droits politiques), la politique d’accueil et d’intégration des réfugiés est portée par le Ministère de l’Intérieur depuis 2007, et non le Ministère en charge des affaires sociales, comme cela était le cas
auparavant. En termes de symbole et de philosophie de nos politiques d’accueil et d’intégration, cela questionne : l’accompagnement social n’est pas le cœur de métier des agents de l’intérieur. Un vrai changement de paradigme serait de garantir des politiques sociales suffisamment inclusives pour répondre aux besoins de toutes et tous, y compris aux besoins spécifiques des étrangers, et particulièrement des personnes réfugiées.
Marilisa Fantacci – Ce qui manque cruellement selon moi, c’est la linéarité et continuité des parcours, un guichet unique de gestion de tous les besoins de ces publics. Une initiative est en cours de création par la Direction générale des étrangers en France (DGEF), en lien avec la Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (DIAIR), la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL), à travers la plateforme AGIR.
La démarche d’obtention du statut de réfugié est un véritable parcours du combattant tant le système administratif français est complexe. Cette complexité se manifeste alors dans tous les champs d’action : le logement, le travail, l’éducation nationale, la santé, l’accès aux droits…
Matthieu Tardis – Sur certains territoires, notamment ici en Île-de-France, les délais créent des ruptures de droits, des frustrations, un sentiment de non-accueil et de méfiance de la part des personnes réfugiées. En effet, le système de demande est complexe et, pour avancer un autre point, il existe également une difficulté très concrète liée aux délais. Devoir attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous à la préfecture afin de pouvoir déposer une demande d’asile a participé à la création d’une partie des campements de migrants parisiens. Par ailleurs, le fait d’attendre parfois jusqu’à
un an avant l’obtention de la carte de résidence pose des difficultés sérieuses, même si cela n’empêche pas d’accéder à un logement ou au RSA. Prenons l’exemple d’un employeur, qui a peu de chance d’être spécialisé en droit de l’immigration et de l’asile. En examinant le dossier d’une personne réfugiée qui n’a pas encore sa carte de résident permettant de séjourner sur une durée de 10 ans renouvelable, mais seulement un récépissé de trois à six mois, il ne saura pas que celle-ci a vocation à rester plusieurs années en France. Il verra simplement une date de validité qui prend fin quelques mois après et ne prendra pas le risque de l’embaucher. Idem concernant les bailleurs. Et cette situation crée des difficultés majeures, sur lesquelles les associations comme Action Emploi Réfugiés essaient d’intervenir, soit en expliquant la situation, soit en contactant les autorités pour accélérer les choses.
Marilisa Fantacci – Ce contre quoi nous nous battons continuellement, ce sont les éléments de rupture
des parcours. A chaque étape du parcours de demande d’asile, les personnes changent de « case » en termes de droits sociaux, et c’est à ce moment-là qu’il peut y avoir des ruptures. Cela tient encore une fois au manque de concertation autour de la personne et de coordination entre les dispositifs. De fait, des délais trop importants peuvent aussi créer la rupture, malgré les formations ou les expériences professionnelles dont la personne a pu bénéficier, ce qui bouleverse tout le travail accompli jusqu’alors. La rupture se manifeste souvent par le fait de se retrouver à la rue, avec sa famille, ce qui ne permet plus à la personne de se concentrer sur son parcours d’intégration. La concertation des acteurs et des dispositifs qui s’imbriquent les uns aux autres, dans un objectif de lutte contre les ruptures de parcours, est fondamentale. Pour prévenir les ruptures, les pouvoirs publics devraient davantage investir dans la formation linguistique ou en faveur de diagnostics anticipés et approfondis relatifs aux compétences et choix professionnels des primo-arrivants.
4 . Pensez-vous que l’évolution de la politique d’intégration en
France a un lien avec ces difficultés du terrain ?
Matthieu Tardis – Selon moi, cette évolution est due à un changement de la perception des questions migratoires en France, en Europe occidentale et en Amérique du Nord. S’il n’y a jamais eu d’âge d’or de l’accueil des réfugiés en France comme ailleurs, nous pouvons constater une évolution progressive au cours des années 1980-1990. Le droit d’asile, après la fin de la Seconde Guerre mondiale et ce jusqu’aux années 1980, était pour la France un instrument de politique étrangère. Dans le contexte de la guerre froide, la Convention de Genève, texte fondateur du statut des réfugiés et pierre angulaire de la protection internationale, a été utilisée pour montrer aux pays communistes la supériorité des démocraties libérales. Karen Akoka, sociologue, démontre par son étude des archives de l’OFPRA, que les dossiers des demandeurs d’asile de l’époque, principalement espagnols et issus des pays d’Europe de l’Est, n’accéderaient pas au statut de réfugié aujourd’hui. Dans les années 1990, avec la chute des régimes communistes, on a assisté à une crise des
réfugiés en Europe. La fin de l’immigration de travail, dans les années 1970 en Europe occidentale, a également participé à cette crispation autour de la question migratoire. Aujourd’hui, le droit d’asile n’est plus vraiment un instrument de politique étrangère de la France mais plutôt un élément de sa politique d’immigration, visant à contrôler l’arrivée et l’accueil des populations étrangères.
Marilisa Fantacci – En parallèle de l’évolution de la politique d’intégration, les discours politique et médiatique ont beaucoup contribué à modifier le regard de l’opinion publique sur ces questions, à ancrer un sentiment de peur, un sentiment de méfiance, pas seulement envers les migrants mais aussi envers les réfugiés, qui étaient jusqu’alors considérés comme des « bons migrants ». Ils sont finalement devenus une source de « danger » dans l’imaginaire collectif. Face à cela, nous avons de plus en plus besoin de faire des campagnes de sensibilisation, de reposer les bases et de montrer l’écart qui existe entre le débat politique et médiatique et la réalité des chiffres et du terrain.
Matthieu Tardis – D’ailleurs, pour les réfugiés ukrainiens, les expressions « vague migratoire » ou « crise des réfugié.es » n’ont pas été utilisées par nos responsables politiques ou par les médias, alors qu’il s’agit du plus grand déplacement de populations que l’on ait connu en Europe depuis 1945. A côté, ce qui s’est passé en 2015, cette fameuse crise migratoire, c’est dérisoire.
5 . Que pensez-vous des pratiques de recrutement mais aussi de
la stabilisation des parcours, qui est un enjeu majeur ?
Marilisa Fantacci – Plusieurs approches de l’inclusion économique existent. Pour la Banque Mondiale,
cela revient à permettre à des ménages éloignés de l’emploi de s’insérer dans la dynamique économique d’un pays, de générer des revenus et donc de s’intégrer dans l’économie nationale. L’objectif est que chacun puisse contribuer, avec ses propres compétences, via un travail qui peut être manuel, intellectuel, salarié, entrepreneurial.
Matthieu Tardis – Il faut que les entreprises, la société d’accueil en général, s’adaptent et fassent un pas vers les publics réfugiés. Dans la plupart des cas, c’est une volonté qui vient plutôt des services RSE. L’enjeu derrière, c’est comment nous pouvons passer de cette démarche RSE à une démarche RH. Je n’ai pas la solution, il n’y a pas de processus parfait. Une entreprise reste une entreprise, elle fait du business, et donc il faut aussi que les managers et les recruteurs comprennent la valeur ajoutée que peut constituer une personne avec un parcours « différent ».
Marilisa Fantacci – L’insertion ne dépend pas seulement des motivations individuelles : toute personne réfugiée préfère être en emploi plutôt qu’au RSA. L’inclusion économique va de pair avec une économie inclusive. Il est donc nécessaire que les employeurs repensent leurs pratiques. Le CV d’une personne réfugiée, qui n’est pas passée par les écoles françaises, qui n’a pas les mêmes expériences, a de faibles chances d’être retenu. Pourtant, notre expérience nous apprend que lorsque les employeurs prennent le temps de rencontrer la personne, les résultats sont différents. Au sein de l’association Action Emploi Réfugiés, nous intervenons auprès des entreprises pour mieux les informer sur les profils, les possibles obstacles tels que la langue, le logement, la mobilité. Grâce au dialogue, on peut faire évoluer les fiches de poste, revoir les critères de recrutement, mais aussi accompagner l’entreprise dans le maintien de la personne réfugiée parmi ses collaborateurs.
Matthieu Tardis – L’insertion professionnelle ne se termine pas quand on décroche un emploi. C’est aussi s’assurer de la qualité de l’emploi, des opportunités d’avancement de la personne, de la possibilité de monter en compétences professionnelles. Chaque salarié possède des droits à la formation professionnelle, qui pourraient être activés pour prendre des cours de français par exemple. Il y a des choses à mettre en place en entreprise, avec des outils et des moyens pour permettre de redonner confiance aux personnes réfugiées. Il est bon de rappeler qu’il n’existe pas de durée type relative aux processus d’intégration et d’insertion professionnelle. Les parcours, les personnes, sont tous différents. Il peut y avoir des personnes qui, en quelques semaines, vont trouver un travail, un logement, vont maîtriser la langue ou la maîtrisait déjà, et qui n’auront besoin ni des services sociaux, ni des services d’une association. Mais cela peut être aussi beaucoup plus long, beaucoup plus intense. Nous avons encore du mal à le concevoir, ce qui fait que nous avons cette injonction d’intégration et d’insertion professionnelle très rapide qui nous pousse à orienter les personnes réfugiées vers des métiers faiblement qualifiés, souvent difficiles, souvent avec des besoins de recrutement importants.
L’accompagnement vers la qualification est encore un vrai point faible. Pourtant, les universités font beaucoup d’efforts également, et sont mobilisées pour proposer des diplômes passerelles qui permettent ensuite à des personnes réfugiées de pouvoir intégrer un cursus. Il reste toutefois la question des moyens de subsistance; les bourses universitaires ne sont pas suffisantes pour suivre des études quand on est dans une telle situation, d’autant plus lorsqu’on a une famille.
Marilisa Fantacci – Des dispositifs comme les POE (Préparations Opérationnelles à l’Emploi) peuvent être une première étape pour accéder à des formations professionnelles intermédiaires, avant une formation plus longue. A Action Emploi Réfugiés, nous nous inscrivons de plus en plus dans ces types de formations, notamment avec notre programme AVEC (Accélération vers l’Emploi et la Carrière). Effectivement, si on veut éviter de « coincer » les réfugiés dans certains métiers à faibles revenus et difficiles, il faut que ces personnes puissent être mises à niveau.
Là-aussi, nous rencontrons une complexité infinie d’acteurs, qu’il conviendrait de mieux coordonner, entre les Opérateurs de Compétences (OCPO), les centres de formation, Pôle Emploi, les entreprises, les organismes sous-traitants…
6 . En matière d’accueil et d’intégration des personnes réfugiées,
quel rôle pour les pouvoirs publics ? Pour l’Etat ?
Matthieu Tardis – L’Etat ne peut pas tout faire seul. Nous sommes dans une société libérale, décentralisée, où la société civile joue un rôle actif, et l’Etat doit pouvoir travailler avec tous les acteurs de terrain. Il faut bâtir une vraie dimension partenariale. Quand je parle des acteurs de terrain, je pense aux associations, aux acteurs privés, aux services publics mais aussi aux collectivités territoriales qui ont un rôle de plus en plus important, qu’il s’agisse des municipalités, des conseils départementaux ou des conseils régionaux, notamment sur les questions de formation professionnelle.
Même s’il y a une prise de conscience au niveau de l’administration centrale sur le fait qu’il faut travailler en partenariat avec les acteurs des territoires, cela reste encore embryonnaire. Aujourd’hui, l’Etat contracte directement avec des associations et délègue la gestion des dossiers sans la mise en place d’un véritable partenariat, et souvent sans les moyens suffisants.
Marilisa Fantacci – Pour compléter, parmi les différents rôles que peut avoir l’Etat, il y a aussi celui d’employeur. Les pouvoirs publics incitent les associations, les entreprises et même dernièrement, comme le disait Matthieu, les universités à travailler sur l’insertion professionnelle des personnes réfugiées. Mais l’Etat pourrait aussi être un exemple : il pourrait davantage recruter de façon inclusive, par la voie contractuelle, sur des métiers en tension.
7 . Avec la guerre en Ukraine, la question des personnes réfugiées est un sujet qui a repris de l’ampleur, qui est revenu à l’agenda.
Avez-vous constaté l’émergence de nouvelles initiatives et/ou de nouveaux dispositifs, entrepreneuriaux, associatifs, publics peut-être, depuis le début de la crise ?Que pensez-vous de ces initiatives et notamment de l’action
gouvernementale sur le sujet ?
Matthieu Tardis – La politique d’accueil en Europe est différente de ce que l’on a pu connaître lors des précédents épisodes, en 2015 par exemple. Une liberté de circulation a été reconnue aux Ukrainiens, ce qui va à l’encontre du système Dublin. Les frontières ont été ouvertes et heureusement, la protection temporaire telle qu’elle a été décidée par l’Union Européenne a permis aux personnes ukrainiennes l’accès à une protection immédiate, à un titre de séjour, à un certain nombre de droits dont le droit au travail. Cette protection n’est pas aussi forte que celle que permet le statut de réfugié, il ne faut donc pas idéaliser l’accueil des personnes ukrainiennes en France et en Europe. Cependant, ce qui sera intéressant, c’est d’observer l’impact que cette mobilisation aura sur les parcours des personnes. Si l’impact est positif, ce cas d’étude pourrait inspirer les processus d’intégration des publics venant
de partout ailleurs.
A la suite de la crise ukrainienne et l’arrivée massive des personnes fuyant la guerre, le Conseil de l’UE a décidé d’actionner le dispositif exceptionnel de protection temporaire prévu à l’article 5 de la directive européenne 2001/55 CE, et une instruction des Ministres de l’intérieur, des solidarités et de la santé, du logement et de la citoyenneté, a permis d’ouvrir la procédure de demande d’autorisation de travail prévue pour les demandeurs d’asile aux bénéficiaires de la protection temporaire. En effet en France, le CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) prévoit la possibilité de travailler pour les demandeurs d’asile via une démarche assez complexe qui implique entre autres, une demande d’autorisation auprès du service de la main d’œuvre étrangère. Par la suite, le décret 2022/468 du 1er avril 2022 précise que l’autorisation provisoire de séjour délivrée aux personnes ukrainiennes et qui détermine leur statut de bénéficiaire de protection temporaire, vaut autorisation de travail. Leur situation est donc facilitée car libérée de l’obligation de demande d’autorisation.
Marilisa Fantacci – Ces doubles-standards entre l’accueil des personnes ukrainiennes et les autres ont été complexes à gérer pour les opérateurs de terrain. Une proposition de loi issue du Sénat est en cours de discussion et prévoit de généraliser l’autorisation automatique de travail pour les bénéficiaires de la protection temporaire ainsi que pour les demandeurs d’asile.
8 . Concrètement, qu’est-ce que l’on pourrait faire pour améliorer
la situation des demandeurs et demandeuses d’asile ?
Marilisa Fantacci– Des interventions mieux programmées en amont, en termes d’apprentissage de la
langue, des codes de la société française ou encore des parcours professionnels et de formation !
Matthieu Tardis – Pour faire le lien avec l’accueil des personnes ukrainiennes, on a vu se développer dans des villes et notamment à Paris, des plateformes d’accueil où les personnes ont pu échanger avec tous les acteurs qu’ils ont à rencontrer dans les premières semaines de leur arrivée : la préfecture de police pour les questions d’autorisations provisoires de séjour, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) pour leur remettre une carte de demandeur d’asile permettant de bénéficier de l’allocation, les associations pour l’orientation vers un hébergement d’urgence et pour l’accompagnement social, et dans certaines villes, la Caisse d’Allocations Familiales et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, étaient également présentes en un même lieu. C’est super ! Je pense que ce sont ces types de modèles qu’il va falloir essayer de reproduire pour tout le monde, pour toutes les personnes exilées.
Marilisa Fantacci – La coordination des acteurs est essentielle dans les premières semaines et
mois de la présence des personnes sur un nouveau territoire. Se déplacer dans plusieurs lieux, notamment dans une ville comme Paris où le système des transports en commun n’est pas évident pour un étranger qui ne maîtrise pas le français, est un premier obstacle à l’insertion. Pour rebondir sur la recommandation de Matthieu, l’Etat est en train de lancer la plateforme AGIR (programme d’accompagnement vers l’emploi et le logement des réfugiés) pour systématiser l’accompagnement vers l’emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale. Il s’agit d’un guichet unique de l’intégration des bénéficiaires de la protection internationale, chargé de veiller au niveau départemental à la cohérence de leurs parcours et à la synergie des dispositifs de droit commun et des dispositifs spécialisés existants. Le programme doit se déployer progressivement dans 27 départements en 2022 et être généralisé en 2024 à la France métropolitaine. Une déclinaison adaptée aux spécificités des collectivités et territoires d’outre-mer est en ce moment même en cours de définition. Affaire à suivre !
9 . Est-ce que la mesure d’impact est un sujet en matière d’accueil et d’intégration des personnes réfugiées ?
Pourrait-elle permettre d’améliorer les stratégies nationales,
associatives, entrepreneuriales… qui sont développées ?
Marilisa Fantacci – Aujourd’hui, on demande de plus en plus aux associations de montrer l’impact de leurs activités sur les personnes accompagnées. Mais une grande partie des associations n’ont pas les capacités en interne et n’ont pas les moyens de se faire accompagner pour réaliser leur mesure d’impact car les montants sont trop élevés. Pourtant, se donner un objectif de mesure d’impact en matière d’accueil et encore plus d’intégration des personnes réfugiées serait une bonne chose. La mesure d’impact semble fondamentale et il faudrait que cet outil devienne un véritable levier d’orientation des politiques publiques.
Matthieu Tardis – Pour moi, la mesure d’impact reste encore un peu floue dans le secteur de l’intégration des personnes réfugiées. De plus, s’il est bon d’évaluer ou de faire des mesures d’impact, encore faut-il que cela soit utilisé ensuite, et pas uniquement pour des questions de subventions. La mesure d’impact ne changera rien sans la volonté politique, qui doit être constante sur ces sujets.
Les Intervenant.e.s

Marilisa Fantacci
Directrice Générale de l’association ACTION EMPLOI
RÉFUGIÉS

Matthieu Tardis
Chercheur à l’INSTITUT FRANÇAIS DES RELATIONS
INTERNATIONALES
Marilisa Fantacci travaille depuis 25 ans dans le domaine des migrations internationales, au niveau des politiques publiques, nationales comme internationales, de l’asile, des questions de migrations intra-européennes, sur différents aspects. Marilisa est passée d’un rôle à l’autre mais toujours avec le même fil
conducteur : l’enjeu de l’accueil et de l’intégration des personnes qui arrivent d’ailleurs.
Matthieu Tardis est Chercheur à l’INSTITUT FRANÇAIS DES RELATIONS INTERNATIONALES depuis 2015, think-tank dédié
aux relations internationales et aux affaires étrangères, Matthieu TARDIS est également Responsable du Centre Migrations et Citoyennetés de l’IFRI, consacré aux questions de migration et de citoyenneté au sens de la participation citoyenne. Auparavant, Matthieu a travaillé pendant 10 ans au sein de l’association France Terre d’Asile, association d’accueil, d’intégration et de défense des droits des personnes réfugiées, et des personnes migrantes de façon globale, sur des missions
à la fois de plaidoyer, d’expertise et de coordination.

Jeanne-Marie RIOU
Chargée d’études au sein de l’Impact Tank
Jeanne-Marie RIOU est chargée d’études au sein de l’Impact Tank dans le cadre de son stage
de fin d’études. Après un Master « Métiers du politique et Action publique territoriale » suivi à
l’Université Paris-Saclay et à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, Jeanne-Marie a rejoint l’IMPACT
TANK pour travailler sur les enjeux liés à l’inclusion numérique, à l’accueil et à l’intégration des
personnes réfugiées en France, et à la question des données en protection de l’enfance.